Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tourne autour de cette chose ; la seconde, qu’on entre en elle. La première dépend du point de vue où l’on se place et des symboles par lesquels on s’exprime. La seconde ne se prend d’aucun point de vue et ne s’appuie sur aucun symbole. De la première connaissance on dira qu’elle s’arrête au relatif ; de la seconde, là où elle est possible, qu’elle atteint l’absolu.

Soit, par exemple, le mouvement d’un objet dans l’espace. Je le perçois différemment selon le point de vue, mobile ou immobile, d’où je le regarde. Je l’exprime différemment, selon le système d’axes ou de points de repère auquel je le rapporte, c’est-à-dire selon les symboles par lesquels je le traduis. Et je l’appelle relatif pour cette double raison : dans un cas comme dans l’autre, je me place en dehors de l’objet lui-même. Quand je parle d’un mouvement absolu, c’est que j’attribue au mobile un intérieur et comme des états d’âme, c’est aussi que je sympathise avec les états et que je m’insère en eux par un effort d’imagination. Alors, selon que l’objet sera mobile ou immobile, selon qu’il adoptera un mouvement ou un autre mouvement, je n’éprouverai pas la même chose[1]. Et ce que j’éprouverai ne dépendra ni du point de vue que je pourrais adopter sur l’objet, puisque je serai dans l’objet lui-même, ni des symboles par lesquels je pourrais le traduire, puisque j’aurai renoncé à toute traduction pour posséder l’original. Bref, le mouvement ne sera plus saisi du dehors et, en quelque sorte, de chez moi, mais du dedans, en lui, en soi. Je tiendrai un absolu.

Soit encore un personnage de roman dont on me raconte

  1. Est-il besoin de dire que nous ne proposons nullement un moyen de reconnaître si un mouvement est absolu ou s’il ne l’est pas ? Nous définissons simplement ce qu’on a dans l’esprit quand on parle d’un mouvement absolu, au sens métaphysique du mot.