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tion directe du changement et de la mobilité. Voici un premier résultat de cet effort. Nous nous représenterons tout changement, tout mouvement, comme absolument indivisibles.

Commençons par le mouvement. J’ai la main au point A. Je la transporte au point B, parcourant l’intervalle AB. Je dis que ce mouvement de A en B est chose simple.

Mais c’est de quoi chacun de nous a la sensation immédiate. Sans doute, pendant que nous portons notre main de A en B, nous nous disons que nous pourrions l’arrêter en un point intermédiaire, mais nous n’aurions plus affaire alors au même mouvement. Il n’y aurait plus un mouvement unique de A en B ; il y aurait, par hypothèse, deux mouvements, avec un intervalle d’arrêt. Ni du dedans, par le sens musculaire, ni du dehors par la vue, nous n’aurions encore la même perception. Si nous laissons notre mouvement de A en B tel qu’il est, nous le sentons indivisé et nous devons le déclarer indivisible.

Il est vrai que, lorsque je regarde ma main allant de A en B et décrivant l’intervalle AB, je me dis : « l’intervalle AB peut se diviser en autant de parties que je le veux, donc le mouvement de A en B peut se diviser en autant de parties qu’il me plaît, puisque ce mouvement s’applique sur cet intervalle. » Ou bien encore : « à chaque instant de son trajet, le mobile passe en un certain point, donc on peut distinguer dans le mouvement autant d’étapes qu’on voudra, donc le mouvement est infiniment divisible. » Mais réfléchissons-y un instant. Comment le mouvement pourrait-il s’appliquer sur l’espace qu’il parcourt ? comment du mouvant coïnciderait-il avec de l’immobile ? comment l’objet qui se meut serait-il en un point de son trajet ? Il y passe ou, en d’autres termes, il pourrait y être. Il y serait s’il s’y arrêtait ; mais, s’il s’y arrêtait, ce n’est plus au même mouvement