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conceptuelle suscite des tentatives antagonistes et que, sur le terrain de la dialectique pure, il n’y a pas de système auquel on ne puisse en opposer un autre, resterons-nous sur ce terrain, ou ne devrions-nous pas plutôt (sans renoncer, cela va sans dire, à l’exercice de nos facultés de conception et de raisonnement) revenir à la perception, obtenir qu’elle se dilate et s’étende ? Je disais que c’est l’insuffisance de la perception naturelle qui a poussé les philosophes à compléter la perception par la conception, — celle-ci devant combler les intervalles entre les données des sens ou de la conscience et, par là, unifier et systématiser notre connaissance des choses. Mais l’examen des doctrines nous montre que la faculté de concevoir, au fur et à mesure qu’elle avance dans ce travail d’intégration, est réduite à éliminer du réel un grand nombre de différences qualitatives, d’éteindre en partie nos perceptions, d’appauvrir notre vision concrète de l’univers. C’est même parce que chaque philosophie est amenée, bon gré mal gré, à procéder ainsi, qu’elle suscite des philosophies antagonistes, dont chacune relève quelque chose de ce que celle-là a laissé tomber. La méthode va donc contre le but : elle devait, en théorie, étendre et compléter la perception ; elle est obligée, en fait, de demander à une foule de perceptions de s’effacer afin que telle ou telle d’entre elles puisse devenir représentative des autres. — Mais supposez qu’au lieu de vouloir nous élever au-dessus de notre perception des choses, nous nous enfoncions en elle pour la creuser et l’élargir. Supposez que nous y insérions notre volonté, et que cette volonté se dilatant, dilate notre vision des choses. Nous obtiendrions cette fois une philosophie où rien ne serait sacrifié des données des sens et de la conscience : aucune qualité, aucun aspect du réel, ne se substituerait au reste sous prétexte de l’expliquer. Mais surtout