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philosophie puisse se mouler sur la science, et une idée d’origine soi-disant intuitive qui n’arriverait pas, en se divisant et en subdivisant ses divisions, à recouvrir les faits observés au dehors et les lois par lesquelles la science les relie entre eux, qui ne serait pas capable, même, de corriger certaines généralisations et de redresser certaines observations, serait fantaisie pure ; elle n’aurait rien de commun avec l’intuition. Mais, d’autre part, l’idée qui réussit à appliquer exactement contre les faits et les lois cet éparpillement d’elle-même n’a pas été obtenue par une unification de l’expérience extérieure ; car le philosophe n’est pas venu à l’unité, il en est parti. Je parle, bien entendu, d’une unité à la fois restreinte et relative, comme celle qui découpe un être vivant dans l’ensemble des choses. Le travail par lequel la philosophie paraît s’assimiler les résultats de la science positive, de même que l’opération au cours de laquelle une philosophie a l’air de rassembler en elle les fragments des philosophies antérieures, n’est pas une synthèse, mais une analyse.

La science est l’auxiliaire de l’action. Et l’action vise un résultat. L’intelligence scientifique se demande donc ce qui devra avoir été fait pour qu’un certain résultat désiré soit atteint, ou plus généralement quelles conditions il faut se donner pour qu’un certain phénomène se produise. Elle va d’un arrangement des choses à un réarrangement, d’une simultanéité à une simultanéité. Nécessairement elle néglige ce qui se passe dans l’intervalle ; ou, si elle s’en occupe, c’est pour y considérer d’autres arrangements, des simultanéités encore. Avec des méthodes destinées à saisir le tout fait, elle ne saurait, en général, entrer dans ce qui se fait, suivre le mouvant, adopter le devenir qui est la vie des choses. Cette dernière tâche appartient à la philosophie.