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c’est en une image qu’il se resserre quand on le repousse vers l’intuition d’où il descend : que si l’on veut dépasser l’image en remontant plus haut qu’elle, nécessairement on retombe sur des concepts, et sur des concepts plus vagues, plus généraux encore, que ceux d’où l’on était parti à la recherche de l’image et de l’intuition. Réduite à prendre cette forme, embouteillée à sa sortie de la source, l’intuition originelle paraîtra donc être ce qu’il y a au monde de plus fade et de plus froid : ce sera la banalité même. Si nous disions, par exemple, que Berkeley considère l’âme humaine comme partiellement unie à Dieu et partiellement indépendante, qu’il a conscience de lui-même, à tout instant, comme d’une activité imparfaite qui rejoindrait une activité plus haute s’il n’y avait, interposé entre les deux, quelque chose qui est la passivité absolue, nous exprimerions de l’intuition originelle de Berkeley tout ce qui peut se traduire immédiatement en concepts, et pourtant nous aurions quelque chose de si abstrait que ce serait à peu près vide. Tenons-nous-en à ces formules, puisque nous ne pouvons trouver mieux, mais tâchons d’y mettre un peu de vie. Prenons tout ce que le philosophe a écrit, faisons remonter ces idées éparpillées vers l’image d’où elles étaient descendues, haussons-les, maintenant enfermées dans l’image, jusqu’à la formule abstraite qui va se grossir de l’image et des idées, attachons-nous alors à cette formule et regardons-la, elle si simple, se simplifier encore, d’autant plus simple que nous aurons poussé en elle un plus grand nombre de choses, soulevons-nous enfin avec elle, montons vers le point où se resserrerait en tension tout ce qui était donné en extension dans la doctrine : nous nous représenterons cette fois comment de ce centre de force, d’ailleurs inaccessible, part l’impulsion qui donne l’élan, c’est-à-dire l’intuition même.