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début, le spectacle de cette pénétration réciproque nous donne sans doute une idée plus juste du corps de la doctrine ; il ne nous en fait pas encore atteindre l’âme.

Nous nous rapprocherons d’elle, si nous pouvons atteindre l’image médiatrice dont je parlais tout à l’heure, — une image qui est presque matière en ce qu’elle se laisse encore voir, et presque esprit en ce qu’elle ne se laisse plus toucher, — fantôme qui nous hante pendant que nous tournons autour de la doctrine et auquel il faut s’adresser pour obtenir le signe décisif, l’indication de l’attitude à prendre et du point où regarder. L’image médiatrice qui se dessine dans l’esprit de l’interprète, au fur et à mesure qu’il avance dans l’étude de l’œuvre, exista-t-elle jadis, telle quelle, dans la pensée du maître ? Si ce ne fut pas celle-là, c’en fut une autre, qui pouvait appartenir à un ordre de perception différent et n’avoir aucune ressemblance matérielle avec elle, mais qui lui équivalait cependant comme s’équivalent deux traductions, en langues différentes, du même original. Peut-être ces deux images, peut-être même d’autres images, équivalentes encore, furent-elles présentes toutes à la fois, suivant pas à pas le philosophe, en procession, à travers les évolutions de sa pensée. Ou peut-être n’en aperçut-il bien aucune, se bornant à reprendre directement contact, de loin en loin, avec cette chose plus subtile encore qui est l’intuition elle-même ; mais alors force nous est bien, à nous interprètes, de rétablir l’image intermédiaire, sous peine d’avoir à parler de l’« intuition originelle » comme d’une pensée vague et de l’« esprit de la doctrine » comme d’une abstraction, alors que cet esprit est ce qu’il y a de plus concret et cette intuition ce qu’il y a de plus précis dans le système.

Dans le cas de Berkeley, je crois voir deux images