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en effet qu’on ne saurait extraire quelque chose de ce qui ne contient rien, ni par conséquent faire sortir d’une perception autre chose qu’elle. La couleur n’étant que de la couleur, la résistance n’étant que de la résistance, jamais vous ne trouverez rien de commun entre la résistance et la couleur, jamais vous ne tirerez des données de la vue un élément qui leur soit commun avec celles du toucher. Que si vous prétendez abstraire des unes et des autres quelque chose qui leur soit commun à toutes, vous vous apercevrez, en regardant cette chose, que vous avez affaire à un mot : voilà le nominalisme de Berkeley ; mais voilà, du même coup, la « nouvelle théorie de la vision ». Si une étendue qui serait à la fois visuelle et tactile n’est qu’un mot, à plus forte raison en est-il ainsi d’une étendue qui intéresserait tous les sens à la fois : voilà encore du nominalisme, mais voilà aussi la réfutation de la théorie cartésienne de la matière. Ne parlons même plus d’étendue ; constatons simplement que, vu la structure du langage, les deux expressions « j’ai cette perception » et « cette perception existe » sont synonymes, mais que la seconde, introduisant le même mot « existence » dans la description de perceptions toutes différentes, nous invite à croire qu’elles ont quelque chose de commun entre elles et à nous imaginer que leur diversité recouvre une unité fondamentale, l’unité d’une « substance » qui n’est en réalité que le mot existence hypostasié : vous avez tout l’idéalisme de Berkeley ; et cet idéalisme, comme je le disais, ne fait qu’un avec son nominalisme. — Passons maintenant, si vous voulez, à la théorie de Dieu et à celle des esprits. Si un corps est fait d’« idées », ou, en d’autres termes, s’il est entièrement passif et terminé, dénué de pouvoirs et de virtualités, il ne saurait agir sur d’autres corps ; et dès lors les mouvements des corps doivent être les effets d’une puis-