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rieures ou contemporaines avec lesquelles on pouvait la faire coïncider en surface. Sans doute ce second point de vue, d’où la doctrine apparaît comme un organisme et non plus comme un assemblage, n’est pas encore le point de vue définitif. Du moins est-il plus rapproché de la vérité. Je ne puis entrer dans tous les détails ; il faut cependant que j’indique, pour une ou deux au moins des quatre thèses, comment on en tirerait n’importe laquelle des autres.

Prenons l’idéalisme. Il ne consiste pas seulement à dire que les corps sont des idées. À quoi cela servirait-il ? Force nous serait bien de continuer à affirmer de ces idées tout ce que l’expérience nous fait affirmer des corps, et nous aurions simplement substitué un mot à un autre ; car Berkeley ne pense certes pas que la matière cessera d’exister quand il aura cessé de vivre. Ce que l’idéalisme de Berkeley signifie, c’est que la matière est coextensive à notre représentation ; qu’elle n’a pas d’intérieur, pas de dessous ; qu’elle ne cache rien, ne renferme rien ; qu’elle ne possède ni puissances ni virtualités d’aucune espèce ; qu’elle est étalée en surface et qu’elle tient tout entière, à tout instant, dans ce qu’elle donne. Le mot « idée » désigne d’ordinaire une existence de ce genre, je veux dire une existence complètement réalisée, dont l’être ne fait qu’un avec le paraître, tandis que le mot « chose » nous fait penser à une réalité qui serait en même temps un réservoir de possibilités ; c’est pour cette raison que Berkeley aime mieux appeler les corps des idées que des choses. Mais, si nous envisageons ainsi l’« idéalisme », nous le voyons coïncider avec le « nominalisme » ; car cette seconde thèse, à mesure qu’elle s’affirme plus nettement dans l’esprit du philosophe, se restreint plus évidemment à la négation des idées générales abstraites, — abstraites, c’est-à-dire extraites de la matière : il est clair