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J’arrive à Berkeley, et puisque c’est lui que je prends comme exemple, vous ne trouverez pas mauvais que je l’analyse en détail : la brièveté ne s’obtiendrait ici qu’aux dépens de la rigueur. Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’œuvre de Berkeley pour la voir, comme d’elle-même, se résumer en quatre thèses fondamentales. La première, qui définit un certain idéalisme et à laquelle se rattache la nouvelle théorie de la vision (quoique le philosophe ait jugé prudent de présenter celle-ci comme indépendante) se formulerait ainsi : « la matière est un ensemble d’idées ». La seconde consiste à prétendre que les idées abstraites et générales se réduisent à des mots : c’est du nominalisme. La troisième affirme la réalité des esprits et les caractérise par la volonté : disons que c’est du spiritualisme et du volontarisme. La dernière enfin, que nous pourrions appeler du théisme, pose l’existence de Dieu en se fondant principalement sur la considération de la matière. Or, rien ne serait plus facile que de retrouver ces quatre thèses, formulées en termes à peu près identiques, chez les contemporains ou les prédécesseurs de Berkeley. La dernière se rencontre chez les théologiens. La troisième était chez Duns Scot ; Descartes a dit quelque chose du même genre. La seconde a alimenté les controverses du moyen âge avant de faire partie intégrante de la philosophie de Hobbes. Quant à la première, elle ressemble beaucoup à l’« occasionalisme » de Malebranche, dont nous découvririons déjà l’idée, et même la formule, dans certains textes de Descartes ; on n’avait d’ailleurs pas attendu jusqu’à Descartes pour remarquer que le rêve a toute l’apparence de la réalité et qu’il n’y a rien, dans aucune de nos perceptions prise à part, qui nous garantisse l’existence d’une chose extérieure à nous. Ainsi, avec des philosophes déjà anciens ou même, si l’on ne veut