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LA VARIATION INSENSIBLE

rant sur l'Œnothera Lamarckiana, a obtenu, au bout de quelques générations, un certain nombre de nouvelles espèces. La théorie qu’il dégage de ses expériences est du plus haut intérêt. Les espèces passeraient par des périodes alternantes de stabilité et de transformation. Quand arrive la période de « mutabilité », elles produiraient, dans une foule de directions diverses, des formes inattendues[1]. Nous ne nous hasarderons pas à prendre parti entre cette hypothèse et celle des variations insensibles. Il est d’ailleurs possible que l’une et l’autre renferment une part de vérité. Nous voulons simplement montrer que, petites ou grandes, les variations invoquées sont incapables, si elles sont accidentelles, de rendre compte d’une similitude de structure comme celle que nous signalions.

Acceptons d’abord, en effet, la thèse darwiniste des variations insensibles. Supposons de petites différences dues au hasard et qui vont toujours s’additionnant. Il ne faut pas oublier que toutes les parties d’un organisme sont nécessairement coordonnées les unes aux autres. Peu m’importe que la fonction soit l’effet ou la cause de l’organe : un point est incontestable, c’est que l’organe ne rendra service et ne donnera prise à la sélection que s’il fonctionne. Que la fine structure de la rétine se développe et se complique, ce progrès, au lieu de favoriser la vision, la troublera sans doute, si les centres visuels ne se développent pas en même temps, ainsi que diverses parties de l’organe visuel lui-même. Si les variations sont accidentelles, il est trop évident qu’elles ne s’entendront pas entre elles pour se produire dans toutes les parties de l’organe à la fois, de telle manière qu’il continue à accomplir sa fonction. Darwin l’a bien compris, et c’est une des raisons

  1. De Vries, Die Mutationstheorie, Leipzig, 1901-1903. Cf. Species end varieties, Chicago, 1905.