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LA VARIATION INSENSIBLE

connu, soit indirectement, par le seul effet des avantages qu’elle procurait à l’être vivant et de la prise qu’elle offrait ainsi à la sélection naturelle, amener une complication légère de l’organe, laquelle aura entraîné avec elle un perfectionnement de la fonction. Ainsi, par une série indéfinie d’actions et de réactions entre la fonction et l’organe, et sans faire intervenir une cause extra-mécanique, on expliquerait la formation progressive d’un œil aussi bien combiné que le nôtre.

La question est difficile à trancher, en effet, si on la pose tout de suite entre la fonction et l’organe, comme le faisait la doctrine de la finalité, comme le fait le mécanisme lui-même. Car organe et fonction sont deux termes hétérogènes entre eux, qui se conditionnent si bien l’un l’autre qu’il est impossible de dire a priori si, dans l’énoncé de leur rapport, il vaut mieux commencer par le premier, comme le veut le mécanisme, ou par le second, comme l’exigerait la thèse de la finalité. Mais la discussion prendrait une tout autre tournure, croyons-nous, si l’on comparait d’abord entre eux deux termes de même nature, un organe à un organe, et non plus un organe à sa fonction. Cette fois, on pourrait s’acheminer peu à peu à une solution de plus en plus plausible. Et l’on aurait d’autant plus de chances d’aboutir qu’on se placerait plus résolument alors dans l’hypothèse évolutioniste.

Voici, à côté de l’œil d’un Vertébré, celui d’un Mollusque tel que le Peigne. Ce sont, dans l’un et dans l’autre, les mêmes parties essentielles, composées d’éléments analogues. L’œil du Peigne présente une rétine, une cornée, un cristallin à structure cellulaire comme le nôtre. On remarque chez lui jusqu’à cette inversion particulière des éléments rétiniens qui ne se rencontre pas, en général,