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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

donc nous pouvions montrer, dans ce cas privilégié, l’insuffisance des principes invoqués de part et d’autre, notre démonstration aurait atteint tout de suite un assez haut degré de généralité.

Considérons l’exemple sur lequel ont toujours insisté les avocats de la finalité : la structure d’un œil tel que l’œil humain. Ils n’ont pas eu de peine à montrer que, dans cet appareil si compliqué, tous les éléments sont merveilleusement coordonnés les uns aux autres. Pour que la vision s’opère, dit l’auteur d’un livre bien connu sur les « Causes finales », il faut « que la sclérotique devienne transparente en un point de sa surface, afin de permettre aux rayons lumineux de la traverser… ; il faut que la cornée se trouve correspondre précisément à l’ouverture même de l’orbite de l’œil… ; il faut que derrière cette ouverture transparente se trouvent des milieux convergents…, il faut qu’à l’extrémité de la chambre noire se trouve la rétine…[1] ; il faut, perpendiculairement à la rétine, une quantité innombrable de cônes transparents qui ne laissent parvenir à la membrane nerveuse que la lumière dirigée suivant le sens de leur axe[2], etc., etc. » — À quoi l’on a répondu en invitant l’avocat des causes finales à se placer dans l’hypothèse évolutioniste. Tout paraît merveilleux, en effet, si l’on considère un œil tel que le nôtre, où des milliers d’éléments sont coordonnés à l’unité de la fonction. Mais il faudrait prendre la fonction à son origine, chez l’Infusoire, alors qu’elle se réduit à la simple impressionnabilité (presque purement chimique) d’une tache de pigment à la lumière. Cette fonction, qui n’était qu’un fait accidentel au début, a pu, soit directement par un mécanisme in-

  1. Paul Janet, Les causes finales, Paris, 1876, p. 83.
  2. Ibid., p. 80.