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RECHERCHE D'UN CRITERIUM

qui attend sa matière ? Les conditions ne sont pas un moule où la vie s’insérera et dont elle recevra sa forme : quand on raisonne ainsi, on est dupe d’une métaphore. Il n’y a pas encore de forme, et c’est à la vie qu’il appartiendra de se créer à elle-même une forme appropriée aux conditions qui lui sont faites. Il va falloir qu’elle tire parti de ces conditions, qu’elle en neutralise les inconvénients et qu’elle en utilise les avantages, enfin qu’elle réponde aux actions extérieures par la construction d’une machine qui n’a aucune ressemblance avec elles. S’adapter ne consistera plus ici à répéter, mais à répliquer, ce qui est tout différent. S’il y a encore adaptation, ce sera au sens où l’on pourrait dire de la solution d’un problème de géométrie, par exemple, qu’elle s’adapte aux conditions de l’énoncé. Je veux bien que l’adaptation ainsi entendue explique pourquoi des processus évolutifs différents aboutissent à des formes semblables ; le même problème appelle en effet la même solution. Mais il faudra faire intervenir alors, comme pour la solution d’un problème de géométrie, une activité intelligente ou du moins une cause qui se comporte de la même manière. C’est la finalité qu’on réintroduira, et une finalité beaucoup trop chargée, cette fois, d’éléments anthropomorphiques. En un mot, si l’adaptation dont on parle est passive, simple répétition en relief de ce que les conditions donnent en creux, elle ne construira rien de ce qu’on veut lui faire construire ; et si on la déclare active, capable de répondre par une solution calculée au problème que les conditions posent, on va plus loin que nous, trop loin même selon nous, dans la direction que nous indiquions d’abord. Mais la vérité est que l’on passe subrepticement de l’un de ces deux sens à l’autre, et qu’on se réfugie dans le premier toutes les fois qu’on va être pris en flagrant délit de finalisme dans l’emploi du second. C’est