Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
RECHERCHE D'UN CRITERIUM

Une accumulation de variations accidentelles, comme il en faut pour produire une structure compliquée, exige le concours d’un nombre pour ainsi dire infini de causes infinitésimales. Comment ces causes, toutes accidentelles, réapparaîtraient-elles les mêmes, et dans le même ordre, sur des points différents de l’espace et du temps ? Personne ne le soutiendra, et le darwiniste lui-même se bornera sans doute à dire que des effets identiques peuvent sortir de causes différentes, que plus d’un chemin conduit au même endroit. Mais ne soyons pas dupes d’une métaphore. L’endroit où l’on arrive ne dessine pas la forme du chemin qu’on a pris pour y arriver, au lieu qu’une structure organique est l’accumulation même des petites différences que l’évolution a dû traverser pour l’atteindre. Concurrence vitale et sélection naturelle ne peuvent nous être d’aucun secours pour résoudre cette partie du problème, car nous ne nous occupons pas ici de ce qui a disparu, nous regardons simplement ce qui s’est conservé. Or, nous voyons que, sur des lignes d’évolution indépendantes, des structures identiques se sont dessinées par une accumulation graduelle d’effets qui se sont ajoutés les uns aux autres. Comment supposer que des causes accidentelles, se présentant dans un ordre accidentel, aient abouti plusieurs fois au même résultat, les causes étant infiniment nombreuses et l’effet infiniment compliqué ?

Le principe du mécanisme est que « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Ce principe n’implique pas toujours, il est vrai, que les mêmes effets aient les mêmes causes ; il entraîne pourtant cette conséquence dans le cas particulier où les causes demeurent visibles dans l’effet qu’elles produisent et en sont les éléments constitutifs. Que deux promeneurs partis de points différents, et errant