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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

car le chemin a été créé au fur et à mesure de l’acte qui le parcourait, n’étant que la direction de cet acte lui-même. L’évolution doit donc comporter à tout moment une interprétation psychologique qui en est, de notre point de vue, la meilleure explication, mais cette explication n’a de valeur et même de signification que dans le sens rétroactif. Jamais l’interprétation finaliste, telle que nous la proposerons, ne devra être prise pour une anticipation sur l’avenir. C’est une certaine vision du passé à la lumière du présent. Bref, la conception classique de la finalité postule à la fois trop et trop peu. Elle est trop large et trop étroite. En expliquant la vie par l’intelligence, elle rétrécit à l’excès la signification de la vie ; l’intelligence, telle du moins que nous la trouvons en nous, a été façonnée par l’évolution au cours du trajet ; elle est découpée dans quelque chose de plus vaste, ou plutôt elle n’est que la projection nécessairement plane d’une réalité qui a relief et profondeur. C’est cette réalité plus compréhensive que le finalisme vrai devrait reconstituer, ou plutôt embrasser, si possible, dans une vision simple. Mais, d’autre part, justement parce qu’elle déborde l’intelligence, faculté de lier le même au même, d’apercevoir et aussi de produire des répétitions, cette réalité est sans doute créatrice, c’est-à-dire productrice d’effets où elle se dilate et se dépasse elle-même : ces effets n’étaient donc pas donnés en elle par avance, et par conséquent elle ne pouvait pas les prendre pour fins, encore qu’une fois produits ils comportent une interprétation rationnelle, comme celle de l’objet fabriqué qui a réalisé un modèle. Bref, la théorie des causes finales ne va pas assez loin quand elle se borne à mettre de l’intelligence dans la nature, et elle va trop loin quand elle suppose une préexistence de l’avenir dans le présent sous forme d’idée. La seconde thèse, qui