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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

concept obtenu en composant entre eux des fragments d’intelligence. Nous nous plaçons en un des points d’aboutissement de l’évolution, le principal sans doute, mais non pas le seul ; en ce point même nous ne prenons pas tout ce qui s’y trouve, car nous ne retenons de l’intelligence qu’un ou deux des concepts où elle s’exprime : et c’est cette partie d’une partie que nous déclarons représentative du tout, de quelque chose même qui déborde le tout consolidé, je veux dire du mouvement évolutif dont ce « tout » n’est que la phase actuelle ! La vérité est que ce ne serait pas trop, ce ne serait pas assez ici de prendre l’intelligence entière. Il faudrait encore rapprocher d’elle ce que nous trouvons en chaque autre point terminus de l’évolution. Et il faudrait considérer ces éléments divers et divergents comme autant d’extraits qui sont ou du moins qui furent, sous leur forme la plus humble, complémentaires les uns des autres. Alors seulement nous pressentirions la nature réelle du mouvement évolutif ; — encore ne ferions-nous que la pressentir, car nous n’aurions toujours affaire qu’à l’évolué, qui est un résultat, et non pas à l’évolution même, c’est-à-dire à l’acte par lequel le résultat s’obtient.

Telle est la philosophie de la vie où nous nous acheminons. Elle prétend dépasser à la fois le mécanisme et le finalisme ; mais, comme nous l’annoncions d’abord, elle se rapproche de la seconde doctrine plus que de la première. Il ne sera pas inutile d’insister sur ce point, et de montrer en termes plus précis par où elle ressemble au finalisme, et par où elle en diffère.

Comme le finalisme radical, quoique sous une forme plus vague, elle nous représentera le monde organisé comme un ensemble harmonieux. Mais cette harmonie est loin d’être aussi parfaite qu’on l’a dit. Elle admet bien