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BIOLOGIE ET PHILOSOPHIE

disposition, — comme si nous possédions implicitement la science universelle. Mais cette croyance est naturelle à l’intelligence humaine, toujours préoccupée de savoir sous quelle ancienne rubrique elle cataloguera n’importe quel objet nouveau, et l’on pourrait dire, en un certain sens, que nous naissons tous platoniciens.

Nulle part l’impuissance de cette méthode ne s’étale aussi manifestement que dans les théories de la vie. Si, en évoluant dans la direction des Vertébrés en général, de l’homme et de l’intelligence en particulier, la Vie a dû abandonner en route bien des éléments incompatibles avec ce mode particulier d’organisation et les confier, comme nous le montrerons, à d’autres lignes de développement, c’est la totalité de ces éléments que nous devrons rechercher et fondre avec l’intelligence proprement dite, pour ressaisir la vraie nature de l’activité vitale. Nous y serons sans doute aidés, d’ailleurs, par la frange de représentation confuse qui entoure notre représentation distincte, je veux dire intellectuelle : que peut être cette frange inutile, en effet, sinon la partie du principe évoluant qui ne s’est pas rétrécie à la forme spéciale de notre organisation et qui a passé en contrebande ? C’est donc là que nous devrons aller chercher des indications pour dilater la forme intellectuelle de notre pensée ; c’est là que nous puiserons l’élan nécessaire pour nous hausser au-dessus de nous-mêmes. Se représenter l’ensemble de la vie ne peut pas consister à combiner entre elles des idées simples déposées en nous par la vie elle-même au cours de son évolution : comment la partie équivaudrait-elle au tout, le contenu au contenant, un résidu de l’opération vitale à l’opération elle-même ? Telle est pourtant notre illusion quand nous définissons l’évolution de la vie par « le passage de l’homogène à l’hétérogène » ou par tout autre