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BIOLOGIE ET PHILOSOPHIE

pement de la vie, une imprévisible création de forme. Le mécanisme n’envisage de la réalité que l’aspect similitude ou répétition. Il est donc dominé par cette loi qu’il n’y a dans la nature que du même reproduisant du même. Mieux se dégage la géométrie qu’il contient, moins il peut admettre que quelque chose se crée, ne fût-ce que de la forme. En tant que nous sommes géomètres, nous repoussons donc l’imprévisible. Nous pourrions l’accepter, assurément, en tant que nous sommes artistes, car l’art vit de création et implique une croyance latente à la spontanéité de la nature. Mais l’art désintéressé est un luxe, comme la pure spéculation. Bien avant d’être artistes, nous sommes artisans. Et toute fabrication, si rudimentaire soit-elle, vit sur des similitudes et des répétitions, comme la géométrie naturelle qui lui sert de point d’appui. Elle travaille sur des modèles qu’elle se propose de reproduire. Et quand elle invente, elle procède ou s’imagine procéder par un arrangement nouveau d’éléments connus. Son principe est qu’ « il faut le même pour obtenir le même ». Bref, l’application rigoureuse du principe de finalité, comme celle du principe de causalité mécanique, conduit à la conclusion que « tout est donné ». Les deux principes disent la même chose dans leurs deux langues, parce qu’ils répondent au même besoin.

C’est pourquoi ils s’accordent encore à faire table rase du temps. La durée réelle est celle qui mord sur les choses et qui y laisse l’empreinte de sa dent. Si tout est dans le temps, tout change intérieurement, et la même réalité concrète ne se répète jamais. La répétition n’est donc possible que dans l’abstrait : ce qui se répète, c’est tel ou tel aspect que nos sens et surtout notre intelligence ont détaché de la réalité, précisément parce que notre action, sur