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LE FINALISME RADICAL

quelle il prétend nous guider, au lieu de la placer derrière. Il substitue l’attraction de l’avenir à l’impulsion du passé. Mais la succession n’en reste pas moins une pure apparence, comme d’ailleurs la course elle-même. Dans la doctrine de Leibniz, le temps se réduit à une perception confuse, relative au point de vue humain, et qui s’évanouirait, semblable à un brouillard qui tombe, pour un esprit placé au centre des choses.

Toutefois le finalisme n’est pas, comme le mécanisme, une doctrine aux lignes arrêtées. Il comporte autant d’infléchissements qu’on voudra lui en imprimer. La philosophie mécanistique est à prendre ou à laisser : il faudrait la laisser, si le plus petit grain de poussière, en déviant de la trajectoire prévue par la mécanique, manifestait la plus légère trace de spontanéité. Au contraire, la doctrine des causes finales ne sera jamais réfutée définitivement. Si l’on en écarte une forme, elle en prendra une autre. Son principe, qui est d’essence psychologique, est très souple. Il est si extensible, et par là même si large, qu’on en accepte quelque chose dès qu’on repousse le mécanisme pur. La thèse que nous exposerons dans ce livre participera donc nécessairement du finalisme dans une certaine mesure. C’est pourquoi il importe d’indiquer avec précision ce que nous allons en prendre, et ce que nous entendons en laisser.

Disons tout de suite qu’on nous paraît faire fausse route quand on atténue le finalisme leibnizien en le fractionnant à l’infini. Telle est pourtant la direction que la doctrine de la finalité a prise. On sent bien que, si l’univers dans son ensemble est la réalisation d’un plan, cela ne saurait se montrer empiriquement. On sent bien aussi que, même si l’on s’en tient au monde organisé, il n’est guère plus facile de prouver que tout y soit har-