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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

qu’on dit ce qui arrivera à la vapeur de la respiration pendant une froide journée d’hiver. » — Dans une pareille doctrine, on parle encore du temps, on prononce le mot, mais on ne pense guère à la chose. Car le temps y est dépourvu d’efficace, et, du moment qu’il ne fait rien, il n’est rien. Le mécanisme radical implique une métaphysique où la totalité du réel est posée en bloc, dans l’éternité, et où la durée apparente des choses exprime simplement l’infirmité d’un esprit qui ne peut pas connaître tout à la fois. Mais la durée est bien autre chose que cela pour notre conscience, c’est-à-dire pour ce qu’il y a de plus indiscutable dans notre expérience. Nous percevons la durée comme un courant qu’on ne saurait remonter. Elle est le fond de notre être et, nous le sentons bien, la substance même des choses avec lesquelles nous sommes en communication. En vain on fait briller à nos yeux la perspective d’une mathématique universelle ; nous ne pouvons sacrifier l’expérience aux exigences d’un système. C’est pourquoi nous repoussons le mécanisme radical.

Mais le finalisme radical nous paraît tout aussi inacceptable, et pour la même raison. La doctrine de la finalité, sous sa forme extrême, telle que nous la trouvons chez Leibniz par exemple, implique que les choses et les êtres ne font que réaliser un programme une fois tracé. Mais, s’il n’y a rien d’imprévu, point d’invention ni de création dans l’univers, le temps devient encore inutile. Comme dans l’hypothèse mécanistique, on suppose encore ici que tout est donné. Le finalisme ainsi entendu n’est qu’un mécanisme à rebours. Il s’inspire du même postulat, avec cette seule différence que, dans la course de nos intelligences finies le long de la succession toute apparente des choses, il met en avant de nous la lumière avec la-