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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

des espèces, cet ordre est justement celui que des considérations tirées de l’embryogénie et de l’anatomie comparées auraient fait supposer, et chaque nouvelle découverte paléontologique apporte au transformisme une nouvelle confirmation. Ainsi, la preuve tirée de l’observation pure et simple va toujours se renforçant, tandis que, d’autre part, l’expérimentation écarte les objections une à une : c’est ainsi que les récentes expériences de H. de Vries, par exemple, en montrant que des variations importantes peuvent se produire brusquement et se transmettre régulièrement, font tomber quelques-unes des plus grosses difficultés que la thèse soulevait. Elles nous permettent d’abréger beaucoup le temps que l’évolution biologique paraissait réclamer. Elles nous rendent aussi moins exigeants vis-à-vis de la paléontologie. De sorte qu’en résumé l’hypothèse transformiste apparaît de plus en plus comme une expression au moins approximative de la vérité. Elle n’est pas démontrable rigoureusement ; mais, au-dessous de la certitude que donne la démonstration théorique ou expérimentale, il y a cette probabilité indéfiniment croissante qui supplée l’évidence et qui y tend comme à sa limite : tel est le genre de probabilité que le transformisme présente.

Admettons pourtant que le transformisme soit convaincu d’erreur. Supposons qu’on arrive à établir, par inférence ou par expérience, que les espèces sont nées par un processus discontinu, dont nous n’avons aujourd’hui aucune idée. La doctrine serait-elle atteinte dans ce qu’elle a de plus intéressant et, pour nous, de plus important ? La classification subsisterait sans doute dans ses grandes lignes. Les données actuelles de l’embryologie subsisteraient également. La correspondance subsisterait entre l’embryogénie comparée et l’anatomie comparée. Dès lors