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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

je veux dire à l’extrémité d’un temps t’ qu’il se transporte, et c’est alors de l’intervalle qui va jusqu’en T’ qu’il n’est plus question. Que s’il divise l’intervalle en parties infiniment petites par la considération de la différentielle dt, il exprime simplement par là qu’il considérera des accélérations et des vitesses, c’est-à-dire des nombres qui notent des tendances et qui permettent de calculer l’état du système à un moment donné ; mais c’est toujours d’un moment donné, je veux dire arrêté, qu’il est question, et non pas du temps qui coule. Bref, le monde sur lequel le mathématicien opère est un monde qui meurt et renaît à chaque instant, celui-là même auquel pensait Descartes quand il partait de création continuée. Mais, dans le temps ainsi conçu, comment se représenter une évolution, c’est-à-dire le trait caractéristique de la vie ? L’évolution, elle, implique une continuation réelle du passé par le présent, une durée qui est un trait d’union. En d’autres termes, la connaissance d’un être vivant ou système naturel est une connaissance qui porte sur l’intervalle même de durée, tandis que la connaissance d’un système artificiel ou mathématique ne porte que sur l’extrémité.

Continuité de changement, conservation du passé dans le présent, durée vraie, l’être vivant semble donc bien partager ces attributs avec la conscience. Peut-on aller plus loin, et dire que la vie est invention comme l’activité consciente, création incessante comme elle ?

Il n’entre pas dans notre dessein d’énumérer ici les preuves du transformisme. Nous voulons seulement expliquer en deux mots pourquoi nous l’accepterons, dans le présent travail, comme une traduction suffisamment exacte et précise des faits connus. L’idée du transformisme est déjà en germe dans la classification naturelle des êtres