Kepler ou un Galilée, au contraire, le temps n’est pas divisé objectivement d’une manière ou d’une autre par la matière qui le remplit. Il n’a pas d’articulations naturelles. Nous pouvons, nous devons le diviser comme il nous plaît. Tous les instants se valent. Aucun d’eux n’a le droit de s’ériger en instant représentatif ou dominateur des autres. Et, par conséquent, nous ne connaissons un changement que lorsque nous savons déterminer où il en est à l’un quelconque de ses moments.
La différence est profonde. Elle est même radicale par un certain côté. Mais, du point de vue d’où nous l’envisageons, c’est une différence de degré plutôt que de nature. L’esprit humain a passé du premier genre de connaissance au second par perfectionnement graduel, simplement en cherchant une précision plus haute. Il y a entre ces deux sciences le même rapport qu’entre la notation des phases d’un mouvement par l’œil et l’enregistrement beaucoup plus complet de ces phases par la photographie instantanée. C’est le même mécanisme cinématographique dans les deux cas, mais il atteint, dans le second, une précision qu’il ne peut pas avoir dans le premier. Du galop d’un cheval notre œil perçoit surtout une attitude caractéristique, essentielle ou plutôt schématique, une forme qui paraît rayonner sur toute une période et remplir ainsi un temps de galop : c’est cette attitude que la sculpture a fixée sur les frises du Parthénon. Mais la photographie instantanée isole n’importe quel moment ; elle les met tous au même rang, et c’est ainsi que le galop d’un cheval s’éparpille pour elle en un nombre aussi grand qu’on voudra d’attitudes successives, au lieu de se ramasser en une attitude unique, qui brillerait en un instant privilégié et éclairerait toute une période.
De cette différence originelle découlent toutes les autres.