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VIEILLISSEMENT ET INDIVIDUALITÉ

ni sur ce qui se perd entre le jour de la naissance et celui de la mort. On s’est attaché à l’accroissement continuel du volume du protoplasme, depuis la naissance de la cellule jusqu’à sa mort[1]. Plus vraisemblable et plus profonde est la théorie qui fait porter la diminution sur la quantité de substance nutritive renfermée dans le « milieu intérieur » où l’organisme se renouvelle, et l’augmentation sur la quantité des substances résiduelles non excrétées qui, en s’accumulent dans le corps, finissent par l’ « encroûter »[2]. Faut-il néanmoins, avec un microbiologiste éminent, déclarer insuffisante toute explication du vieillissement qui ne tient pas compte de la phagocytose[3] ? Nous n’avons pas qualité pour trancher la question. Mais le fait que les deux théories s’accordent à affirmer la constante accumulation ou la perte constante d’une certaine espèce de matière, alors que, dans la détermination de ce qui se gagne et de ce qui se perd, elles n’ont plus grand’chose de commun, montre assez que le cadre de l’explication a été fourni a priori. Nous le verrons de mieux en mieux à mesure que nous avancerons dans notre étude : il n’est pas facile, quand on pense au temps, d’échapper à l’image du sablier.

La cause du vieillissement doit être plus profonde. Nous estimons qu’il y a continuité ininterrompue entre l’évolution de l’embryon et celle de l’organisme complet. La poussée en vertu de laquelle l’être vivant grandit, se dé-

  1. Sedgwick Minot, On certain phenomena of growing old. (Proc. of The American Assoc. for The advancement of science, 39th meeting. Salem, 1891, p. 271-288).
  2. Le Dantec, L’individualité et l’erreur individualiste, Paris, 1905, p. 84 et suiv.
  3. Metchnikoff, La dégénérescence sénile (Année biologique, III, 1897, p. 249 et suiv.). Cf. du même auteur : La nature humaine, Paris, 1903, p. 312 et suiv.