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L’EXISTENCE ET LE NÉANT

vide limité par des contours précis, c’est-à-dire d’une espèce de chose. Le vide dont je parle n’est donc, au fond, que l’absence de tel objet déterminé, lequel était ici d’abord, se trouve maintenant ailleurs et, en tant qu’il n’est plus à son ancien lieu, laisse derrière lui, pour ainsi dire, le vide de lui-même. Un être qui ne serait pas doué de mémoire ou de prévision ne prononcerait jamais ici les mots de « vide » ou de « néant » ; il exprimerait simplement ce qui est et ce qu’il perçoit ; or, ce qui est et ce qu’on perçoit, c’est la présence d’une chose ou d’une autre, jamais l’absence de quoi que ce soit. Il n’y a d’absence que pour un être capable de souvenir et d’attente. Il se souvenait d’un objet et s’attendait peut-être à le rencontrer : il en trouve un autre, et il exprime la déception de son attente, née elle-même du souvenir, en disant qu’il ne trouve plus rien, qu’il se heurte au néant. Même s’il ne s’attendait pas à rencontrer l’objet, c’est une attente possible de cet objet, c’est encore la déception de son attente éventuelle, qu’il traduit en disant que l’objet n’est plus où il était. Ce qu’il perçoit en réalité, ce qu’il réussit à penser effectivement, c’est la présence de l’ancien objet à une nouvelle place ou celle d’un nouvel objet à l’ancienne ; le reste, tout ce qui s’exprime négativement par des mots tels que le néant ou le vide, n’est pas tant pensée qu’affection, ou, pour parler plus exactement, coloration affective de la pensée. L’idée d’abolition ou de néant partiel se forme donc ici au cours de la substitution d’une chose à une autre, dès que cette substitution est pensée par un esprit qui préférerait maintenir l’ancienne chose à la place de la nouvelle ou qui conçoit tout au moins cette préférence comme possible. Elle implique du côté subjectif une préférence, du côté objectif une substitution, et n’est point autre chose qu’une combinaison, ou plutôt