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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

d’exécution, le cerveau souligne à tout instant les articulations motrices de l’état de conscience ; mais là se borne l’interdépendance de la conscience et du cerveau ; le sort de la conscience n’est pas lié pour cela au sort de la matière cérébrale. Enfin, la conscience est essentiellement libre ; elle est la liberté même : mais elle ne peut traverser la matière sans se poser sur elle, sans s’adapter à elle : cette adaptation est ce qu’on appelle l’intellectualité ; et l’intelligence, se retournant vers la conscience agissante, c’est-à-dire libre, la fait naturellement entrer dans les cadres où elle a coutume de voir la matière s’insérer. Elle apercevra donc toujours la liberté sous forme de nécessité ; toujours elle négligera la part de nouveauté ou de création inhérente à l’acte libre, toujours elle substituera à l’action elle-même une imitation artificielle, approximative, obtenue en composant l’ancien avec l’ancien et le même avec le même. Ainsi, aux yeux d’une philosophie qui fait effort pour réabsorber l’intelligence dans l’intuition, bien des difficultés s’évanouissent ou s’atténuent. Mais une telle doctrine ne facilite pas seulement la spéculation. Elle nous donne aussi plus de force pour agir et pour vivre. Car, avec elle, nous ne nous sentons plus isolés dans l’humanité, l’humanité ne nous semble pas non plus isolée dans la nature qu’elle domine. Comme le plus petit grain de poussière est solidaire de notre système solaire tout entier, entraîné avec lui dans ce mouvement indivisé de descente qui est la matérialité même, ainsi tous les êtres organisés, du plus humble au plus élevé, depuis les premières origines de la vie jusqu’au temps où nous sommes, et dans tous les lieux comme dans tous les temps, ne font que rendre sensible aux yeux une impulsion unique, inverse du mouvement de la matière et, en elle-même, indivisible. Tous les vivants se tiennent, et tous cèdent à