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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

aller de là à l’intelligence, car de l’intelligence on ne passera jamais à l’intuition.

La philosophie nous introduit ainsi dans la vie spirituelle. Et elle nous montre en même temps la relation de la vie de l’esprit à celle du corps. La grande erreur des doctrines spiritualistes a été de croire qu’en isolant la vie spirituelle de tout le reste, en la suspendant dans l’espace aussi haut que possible au-dessus de terre, elles la mettaient à l’abri de toute atteinte : comme si elles ne l’exposaient pas simplement ainsi à être prise pour un effet de mirage ! Certes, elles ont raison d’écouter la conscience, quand la conscience affirme la liberté humaine ; — mais l’intelligence est là, qui dit que la cause détermine son effet, que le même conditionne le même, que tout se répète et que tout est donné. Elles ont raison de croire à la réalité absolue de la personne et à son indépendance vis-à-vis de la matière ; — mais la science est là, qui montre la solidarité de la vie consciente et de l’activité cérébrale. Elles ont raison d’attribuer à l’homme une place privilégiée dans la nature, de tenir pour infinie la distance de l’animal à l’homme ; — mais l’histoire de la vie est là, qui nous fait assister à la genèse des espèces par voie de transformation graduelle et qui semble ainsi réintégrer l’homme dans l’animalité. Quand un instinct puissant proclame la survivance probable de la personne, elles ont raison de ne pas fermer l’oreille à sa voix ; — mais s’il existe ainsi des « âmes » capables d’une vie indépendante, d’où viennent-elles ? quand, comment, pourquoi entrent-elles dans ce corps que nous voyons, sous nos yeux, sortir très naturellement d’une cellule mixte empruntée aux corps de ses deux parents ? Toutes ces questions resteront sans réponse, une philosophie d’intuition sera la négation de la science, tôt ou tard elle sera balayée