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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

vers distincts, en mots distincts, on pourra dire qu’il contenait cette multiplicité d’éléments individués et que pourtant c’est la matérialité du langage qui la crée.

Mais à travers les mots, les vers et les strophes, court l’inspiration simple qui est le tout du poème. Ainsi, entre les individus dissociés, la vie circule encore : partout, la tendance à s’individuer est combattue et en même temps parachevée par une tendance antagoniste et complémentaire à s’associer, comme si l’unité multiple de la vie, tirée dans le sens de la multiplicité, faisait d’autant plus d’effort pour se rétracter sur elle-même. Une partie n’est pas plutôt détachée qu’elle tend à se réunir, sinon à tout le reste, du moins à ce qui est le plus près d’elle. De là, dans tout le domaine de la vie, un balancement entre l’individuation et l’association. Les individus se juxtaposent en une société ; mais la société, à peine formée, voudrait fondre dans un organisme nouveau les individus juxtaposés, de manière à devenir elle-même un individu qui puisse, à son tour, faire partie intégrante d’une association nouvelle. Au plus bas degré de l’échelle des organismes nous trouvons déjà de véritables associations, les colonies microbiennes, et, dans ces associations, s’il faut en croire un travail récent, la tendance à s’individuer par la constitution d’un noyau[1]. La même tendance se retrouve à un échelon plus élevé, chez ces Protophytes qui, une fois sortis de la cellule-mère par voie de division, restent unis les uns aux autres par la substance gélatineuse qui entoure leur surface, comme aussi chez ces Protozoaires qui commencent par entremêler leurs pseudopodes et finissent par se souder entre eux. On connaît la théorie dite « coloniale » de la genèse des organismes supérieurs. Les Protozoaires,

  1. Serkovski, mémoire (en russe) analysé dans l’Année biologique, 1898, p. 317.