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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

la constatation implicite de la présence de l’ordre opposé, constatation sur laquelle nous fermons les yeux parce qu’elle ne nous intéresse pas, ou à laquelle nous échappons en niant à son tour le second ordre, c’est-à-dire, au fond, en rétablissant le premier. Comment parler alors d’une diversité incohérente qu’un entendement organiserait ? On aura beau dire que nul ne suppose cette incohérence réalisée ou réalisable : du moment qu’on en parle, c’est qu’on croit y penser ; or, en analysant l’idée effectivement présente, on n’y trouvera, encore une fois, que la déception de l’esprit devant un ordre qui ne l’intéresse pas, ou une oscillation de l’esprit entre deux espèces d’ordre, ou enfin la représentation pure et simple du mot vide qu’on a créé en accolant le préfixe négatif à un mot qui signifiait quelque chose. Mais c’est cette analyse qu’on néglige de faire. On l’omet, précisément parce qu’on ne songe pas à distinguer deux espèces d’ordre irréductibles l’une à l’autre.

Nous disions en effet que tout ordre apparaît nécessairement comme contingent. S’il y a deux espèces d’ordre, cette contingence de l’ordre s’explique : l’une des formes est contingente par rapport à l’autre. Où je trouve du géométrique, le vital était possible ; où l’ordre est vital, il aurait pu être géométrique. Mais supposons que l’ordre soit partout de même espèce, et comporte simplement des degrés, qui aillent du géométrique au vital. Un ordre déterminé continuant a m’apparaître comme contingent, et ne pouvant plus l’être par rapport à un ordre d’un autre genre, je croirai nécessairement que l’ordre est contingent par rapport à une absence de lui-même, c’est-à-dire par rapport à un état de choses « où il n’y aurait pas d’ordre du tout ». Et cet état de choses, je croirai y penser, parce qu’il est impliqué, semble-t-il, dans la contingence même