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LES GENRES ET LES LOIS

esprit, la subdivision de la matière en corps ne serait plus relative à notre faculté de percevoir : tous les corps auraient la même individualité que les corps vivants, et les lois de l’univers physique exprimeraient des rapports de parenté réelle entre des genres réels. On sait quelle physique sortit de là, et comment, pour avoir cru à la possibilité d’une science une et définitive, embrassant la totalité du réel et coïncidant avec l’absolu, les anciens durent s’en tenir, en fait, à une traduction plus ou moins grossière du physique en vital.

Mais la même confusion se retrouve chez les modernes, avec cette différence que le rapport entre les deux termes est interverti, que les lois ne sont plus ramenées aux genres, mais les genres aux lois, et que la science, supposée encore une fois une, devient tout entière relative, au lieu d’être tout entière, comme le voulaient les anciens, en coïncidence avec l’absolu. C’est un fait remarquable que l’éclipse du problème des genres dans la philosophie moderne. Notre théorie de la connaissance roule à peu près exclusivement sur la question des lois : les genres devront trouver moyen de s’arranger avec les lois, peu importe comment. La raison en est que notre philosophie a son point de départ dans les grandes découvertes astronomiques et physiques des temps modernes. Les lois de Kepler et de Galilée sont restées, pour elle, le type idéal et unique de toute connaissance. Or, une loi est une relation entre des choses ou entre des faits. Plus précisément, une loi à forme mathématique exprime qu’une certaine grandeur est fonction d’une ou de plusieurs autres variables, convenablement choisies. Or, le choix des grandeurs variables, la répartition de la nature en objets et en faits, a déjà quelque chose de contingent et de conventionnel. Mais admettons que le choix soit tout indiqué, imposé