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GÉOMÉTRIE ET DÉDUCTION

tend mieux que le civilisé à évaluer des distances, à déterminer une direction, à retracer de mémoire le schéma souvent complexe du chemin qu’il a parcouru et à revenir ainsi, en ligne droite, à son point de départ[1]. Si l’animal ne déduit pas explicitement, s’il ne forme pas explicitement des concepts, il ne se représente pas non plus un espace homogène. Vous ne pouvez vous donner cet espace sans introduire, du même coup, une géométrie virtuelle qui se dégradera, d’elle-même, en logique. Toute la répugnance des philosophes à envisager les choses de ce biais vient de ce que le travail logique de l’intelligence représente à leurs yeux un effort positif de l’esprit. Mais, si l’on entend par spiritualité une marche en avant à des créations toujours nouvelles, à des conclusions incommensurables avec les prémisses et indéterminables par rapport à elles, on devra dire d’une représentation qui se meut parmi des rapports de détermination nécessaire, à travers des prémisses qui contiennent par avance leur conclusion, qu’elle suit la direction inverse, celle de la matérialité. Ce qui apparaît, du point de vue de l’intelligence, comme un effort, est en soi un abandon. Et tandis que, du point de vue de l’intelligence, il y a une pétition de principe à faire sortir automatiquement de l’espace la géométrie, de la géométrie elle-même la logique, au contraire, si l’espace est le terme ultime du mouvement de détente de l’esprit, on ne peut se donner l’espace sans poser ainsi la logique et la géométrie, qui sont sur le trajet dont la pure intuition spatiale est le terme.

On n’a pas assez remarqué combien la portée de la déduction est faible dans les sciences psychologiques et

  1. Bastian, Le cerveau, Paris, 1882, vol. I, p. 166-170.