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INTELLIGENCE ET MATÉRIALITÉ

ligence n’impose sa forme à la matière, ni la matière et l’intelligence n’ont été réglées l’une sur l’autre par je ne sais quelle harmonie préétablie, mais que progressivement l’intelligence et la matière se sont adaptées l’une à l’autre pour s’arrêter enfin à une forme commune. Cette adaptation se serait d’ailleurs effectuée tout naturellement, parce que c’est la même inversion du même mouvement qui crée à la fois l’intellectualité de l’esprit et la matérialité des choses.

De ce point de vue, la connaissance que nous donnent de la matière notre perception, d’un côté, et la science, de l’autre, nous apparaît comme approximative, sans doute, mais non pas comme relative. Notre perception, dont le rôle est d’éclairer nos actions, opère un sectionnement de la matière qui sera toujours trop net, toujours subordonné à des exigences pratiques, toujours à réviser par conséquent. Notre science, qui aspire à prendre la forme mathématique, accentue plus qu’il ne faut la spatialité de la matière ; ses schémas seront donc, en général, trop précis, et d’ailleurs toujours à refaire. Il faudrait, pour qu’une théorie scientifique fût définitive, que l’esprit pût embrasser en bloc la totalité des choses et les situer exactement les unes par rapport aux autres ; mais, en réalité, nous sommes obligés de poser les problèmes un à un, en termes qui sont par là même des termes provisoires, de sorte que la solution de chaque problème devra être indéfiniment corrigée par la solution qu’on donnera des problèmes suivants, et que la science, dans son ensemble, est relative à l’ordre contingent dans lequel les problèmes ont été posés tour à tour. C’est en ce sens, et dans cette mesure, qu’il faut tenir la science pour conventionnelle. Mais la conventionalité est de fait, pour ainsi dire, et non pas de droit. En principe, la science positive porte sur la