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NATURE DE L’INSTINCT

tôt que représentée) qui ressemble sans doute à ce qui s’appelle chez nous sympathie divinatrice.

C’est un fait remarquable que le va-et-vient des théories scientifiques de l’instinct entre l’intelligent et le simplement intelligible, je veux dire entre l’assimilation de l’instinct à une intelligence « tombée » et la réduction de l’instinct à un pur mécanisme[1]. Chacun de ces deux systèmes d’explication triomphe dans la critique qu’il fait de l’autre, le premier quand il nous montre que l’instinct ne peut pas être un pur réflexe, le second quand il dit que c’est autre chose que de l’intelligence, même tombée dans l’inconscience. Qu’est-ce à dire, sinon que ce sont là deux symbolismes également acceptables par certains côtés et, par d’autres, également inadéquats à leur objet ? L’explication concrète, non plus scientifique, mais métaphysique, doit être cherchée dans une tout autre voie, non plus dans la direction de l’intelligence, mais dans celle de la « sympathie ».


L’instinct est sympathie. Si cette sympathie pouvait étendre son objet et aussi réfléchir sur elle-même, elle nous donnerait la clef des opérations vitales, — de même que l’intelligence, développée et redressée, nous introduit dans la matière. Car, nous ne saurions trop le répéter, l’intelligence et l’instinct sont tournés dans deux sens opposés, celle-là vers la matière inerte, celui-ci vers la vie. L’intelligence, par l’intermédiaire de la science qui est son œuvre, nous livrera de plus en plus complètement le secret des opérations physiques ; de la vie elle ne

  1. Voir, en particulier, parmi les travaux récents : Bethe, Dürfen wir den Ameisen und Bienen psychische Qualiläten zuschreiben ? (Arch. f. d. ges. Physiologie, 1898), et Forel, Un aperçu de psychologie comparée (Année psychologique, 1895).