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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

qu’à moitié[1]. Mais, parce que l’instinct est faillible comme l’intelligence, parce qu’il est susceptible, lui aussi, de présenter des écarts individuels, il ne s’ensuit pas du tout que l’instinct du Sphex ait été acquis, comme on l’a prétendu, par des tâtonnements intelligents. À supposer que, dans la suite des temps, le Sphex soit arrivé à reconnaître un à un, par tâtonnement, les points de sa victime qu’il faut piquer pour l’immobiliser, et le traitement spécial qu’il faut infliger au cerveau pour que la paralysie vienne sans entraîner la mort, comment supposer que les éléments si spéciaux d’une connaissance si précise se soient transmis régulièrement, un à un, par hérédité ? S’il y avait, dans toute notre expérience actuelle, un seul exemple indiscutable d’une transmission de ce genre, l’hérédité des caractères acquis ne serait contestée par personne. En réalité, la transmission héréditaire de l’habitude contractée s’effectue de façon imprécise et irrégulière, à supposer qu’elle se fasse jamais véritablement.

Mais toute la difficulté vient de ce que nous voulons traduire la science de l’Hyménoptère en termes d’intelligence. Force nous est alors d’assimiler le Sphex à l’entomologiste, qui connaît la Chenille comme il connaît tout le reste des choses, c’est-à-dire du dehors, sans avoir, de ce côté, un intérêt spécial et vital. Le Sphex aurait donc à apprendre une à une, comme l’entomologiste, les positions des centres nerveux de la Chenille, — à acquérir au moins la connaissance pratique de ces positions en expérimentant les effets de sa piqûre. Mais il n’en serait plus de même si l’on supposait entre le Sphex et sa victime une sympathie (au sens étymologique du mot) qui le renseignât du dedans, pour ainsi dire, sur la vulnérabilité de la

  1. Peckham, Wasps, solitary and social, Westminster. 1905, p. 28 et suiv.