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LES DIRECTIONS DE L'ÉVOLUTION

rapports. Mais cette connaissance toute formelle de l’intelligence a sur la connaissance matérielle de l’instinct un incalculable avantage. Une forme, justement parce qu’elle est vide, peut être remplie tour à tour, à volonté, par un nombre indéfini de choses, même par celles qui ne servent à rien. De sorte qu’une connaissance formelle ne se limite pas à ce qui est pratiquement utile, encore que ce soit en vue de l’utilité pratique qu’elle a fait son apparition dans le monde. Un être intelligent porte en lui de quoi se dépasser lui-même.

Il se dépassera cependant moins qu’il ne le voudrait, moins aussi qu’il ne s’imagine le faire. Le caractère purement formel de l’intelligence la prive du lest dont elle aurait besoin pour se poser sur les objets qui seraient du plus puissant intérêt pour la spéculation. L’instinct, au contraire, aurait la matérialité voulue, mais il est incapable d’aller chercher son objet aussi loin : il ne spécule pas. Nous touchons au point qui intéresse le plus notre présente recherche. La différence que nous allons signaler entre l’instinct et l’intelligence est celle que toute notre analyse tendait à dégager. Nous la formulerions ainsi : Il y a des choses que l’intelligence seule est capable de chercher, mais que, par elle-même, elle ne trouvera jamais. Ces choses, l’instinct seul les trouverait ; mais il ne les cherchera jamais.

Il est nécessaire d’entrer ici dans quelques détails provisoires sur le mécanisme de l’intelligence. Nous avons dit que l’intelligence avait pour fonction d’établir des rapports. Déterminons plus précisément la nature des relations que l’intelligence établit. Sur ce point, on reste encore dans le vague ou dans l’arbitraire tant qu’on voit dans l’intelligence une faculté destinée à la spéculation pure. On est réduit alors à prendre les cadres généraux de l’entendement