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LA PLANTE ET L’ANIMAL

cipant à dose infinitésimale de l’un et de l’autre, est une réaction simplement indécise et par conséquent déjà vaguement consciente. C’est dire que l’organisme le plus humble est conscient dans la mesure où il se meut librement. La conscience est-elle ici, par rapport au mouvement, l’effet ou la cause ? En un sens elle est cause, puisque son rôle est de diriger la locomotion. Mais, en un autre sens, elle est effet, car c’est l’activité motrice qui l’entretient, et, dès que cette activité disparaît, la conscience s’atrophie ou plutôt s’endort. Chez des Crustacés tels que les Rhizocéphales, qui ont dû présenter autrefois une structure plus différenciée, la fixité et le parasitisme accompagnent la dégénérescence et la presque disparition du système nerveux : comme, en pareil cas, le progrès de l’organisation avait localisé dans des centres nerveux toute l’activité consciente, on peut conjecturer que la conscience est plus faible encore chez des animaux de ce genre que dans des organismes beaucoup moins différenciés, qui n’ont jamais eu de centres nerveux mais qui sont restés mobiles.

Comment alors la plante, qui s’est fixée à la terre et qui trouve sa nourriture sur place, aurait-elle pu se développer dans le sens de l’activité consciente ? La membrane de cellulose dont le protoplasme s’enveloppe, en même temps qu’elle immobilise l’organisme végétal le plus simple, le soustrait, en grande partie, à ces excitations extérieures qui agissent sur l’animal comme des irritants de la sensibilité et l’empêchent de s’endormir[1]. La plante est donc généralement inconsciente. Ici encore il faudrait se garder des distinctions radicales. Inconscience et conscience ne sont pas deux étiquettes qu’on puisse coller machinalement, l’une sur toute cellule végétale, l’autre sur tous les ani-.

  1. Cope, op. cit., p. 76.