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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

l’aiguille de la voie ferrée quand elle adopte pendant quelques instants la direction du rail dont elle veut se détacher. Des phénomènes observés dans les formes les plus élémentaires de la vie on ne peut dire s’ils sont encore physiques et chimiques ou s’ils sont déjà vitaux. Il fallait que la vie entrât ainsi dans les habitudes de la matière brute, pour entraîner peu à peu sur une autre voie cette matière magnétisée. Les formes animées qui parurent d’abord furent donc d’une simplicité extrême. C’étaient sans doute de petites masses de protoplasme à peine différencié, comparables du dehors aux Amibes que nous observons aujourd’hui, mais avec, en plus, la formidable poussée intérieure qui devait les hausser jusqu’aux formes supérieures de la vie. Qu’en vertu de cette poussée les premiers organismes aient cherché à grandir le plus possible, cela nous paraît probable : mais la matière organisée a une limite d’expansion bien vite atteinte. Elle se dédouble plutôt que de croître au delà d’un certain point. Il fallut, sans doute, des siècles d’effort et des prodiges de subtilité pour que la vie tournât ce nouvel obstacle. Elle obtint d’un nombre croissant d’éléments, prêts à se dédoubler, qu’ils restassent unis. Par la division du travail elle noua entre eux un indissoluble lien. L’organisme complexe et quasi-discontinu fonctionne ainsi comme eût fait une masse vivante continue, qui aurait simplement grandi.

Mais les causes vraies et profondes de division étaient celles que la vie portait en elle. Car la vie est tendance, et l’essence d’une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles se partagera son élan. C’est ce que nous observons sur nous-mêmes dans l’évolution de cette tendance spéciale que nous appelons notre