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L’ÉLAN VITAL

ront juxtaposés et coordonnés en une forme déterminée, celle même de la main qui s’arrête et d’une partie du bras. Maintenant, supposons que la main et le bras soient restés invisibles. Les spectateurs chercheront dans les grains de limaille eux-mêmes, et dans des forces intérieures à l’amas, la raison de l’arrangement. Les uns rapporteront la position de chaque grain à l’action que les grains voisins exercent sur lui : ce seront des mécanistes. D’autres voudront qu’un plan d’ensemble ait présidé au détail de ces actions élémentaires : ils seront finalistes. Mais la vérité est qu’il y a tout simplement eu un acte indivisible, celui de la main traversant la limaille : l’inépuisable détail du mouvement des grains, ainsi que l’ordre de leur arrangement final, exprime négativement, en quelque sorte, ce mouvement indivisé, étant la forme globale d’une résistance et non pas une synthèse d’actions positives élémentaires. C’est pourquoi, si l’on donne le nom d’ « effet » à l’arrangement des grains et celui de « cause » au mouvement de la main, on pourra dire, à la rigueur, que le tout de l’effet s’explique par le tout de la cause, mais à des parties de la cause ne correspondront nullement des parties de l’effet. En d’autres termes, ni le mécanisme ni le finalisme ne seront ici à leur place, et c’est à un mode d’explication sui generis qu’il faudra recourir. Or, dans l’hypothèse que nous proposons, le rapport de la vision à l’appareil visuel serait à peu près celui de la main à la limaille de fer qui en dessine, en canalise et en limite le mouvement.

Plus l’effort de la main est considérable, plus elle va loin à l’intérieur de la limaille. Mais, quel que soit le point où elle s’arrête, instantanément et automatiquement les grains s’équilibrent, se coordonnent entre eux. Ainsi pour la vision et pour son organe. Selon que l’acte indi-