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devraient alors, semble-t-il, se prêter aux méthodes d’observation et d’expérimentation usitées dans les sciences de la nature. Dressez le fait à se produire dans un laboratoire, on l’accueillera volontiers ; jusque-là, on le tiendra pour suspect. De ce que la « recherche psychique » ne peut pas procéder comme la physique et la chimie, on conclut qu’elle n’est pas scientifique ; et comme le « phénomène psychique » n’a pas encore pris la forme simple et abstraite qui ouvre à un fait l’accès du laboratoire, volontiers on le déclarerait irréel. Tel est, je crois, le raisonnement « subconscient » de certains savants.

Je retrouve le même sentiment, le même dédain du concret, au fond des objections qu’on élève contre telle ou telle de vos conclusions. Je n’en citerai qu’un exemple. Il y a quelque temps, dans une réunion mondaine à laquelle j’assistais, la conversation tomba sur les phénomènes dont vous vous occupez. Un de nos grands médecins était là, qui fut un de nos grands savants. Après avoir écouté attentivement, il prit la parole et s’exprima à peu près en ces termes : « Tout ce que vous dites m’intéresse beaucoup, mais je vous demande de réfléchir avant de tirer une conclusion. Je connais, moi aussi, un fait extraordinaire. Et ce fait, j’en garantis l’authenticité, car il m’a été raconté par une dame fort intelligente, dont la parole m’inspire une confiance absolue. Le mari de cette dame était officier. Il fut tué au cours d’un engagement. Or, au moment même où le mari tombait, la femme eut la vision de la scène, vision précise, de tous points conforme à la réalité. Vous conclurez peut-être de là, comme elle concluait elle-même, qu’il y avait eu clairvoyance, télépathie, etc. ? Vous n’oublierez qu’une chose : c’est