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l’ouvrier à ses outils. Il l’aime pour elle, indépendamment de ce qu’elle donne. C’est même par là, je crois, que William James définissait la différence entre l’amateur de science et le professionnel, le premier s’intéressant surtout au résultat obtenu, le second aux procédés par lesquels on l’obtient. Or, les phénomènes dont vous vous occupez sont incontestablement du même genre que ceux qui font l’objet de la science naturelle, tandis que la méthode que vous suivez, et que vous êtes obligés de suivre, n’a souvent aucun rapport avec celle des sciences de la nature.

Je dis que ce sont des faits du même genre. J’entends par là qu’ils manifestent sûrement des lois, et qu’ils sont susceptibles, eux aussi, de se répéter indéfiniment dans le temps et dans l’espace. Ce ne sont pas des faits comme ceux qu’étudie l’historien par exemple. L’histoire, elle, ne se recommence pas ; la bataille d’Austerlitz s’est livrée une fois, et ne se livrera jamais plus. Les mêmes conditions historiques ne pouvant se reproduire, le même fait historique ne saurait reparaître ; et comme une loi exprime nécessairement qu’à certaines causes, toujours les mêmes, correspondra un effet toujours le même aussi, l’histoire proprement dite ne porte pas sur des lois, mais sur des faits particuliers et sur les circonstances, non moins particulières, où ils se sont accomplis. L’unique question, ici, est de savoir si l’événement a bien eu lieu à tel moment déterminé du temps, en tel point déterminé de l’espace, et comment il s’est produit. Au contraire, une hallucination véridique par exemple — l’apparition d’un malade ou d’un mourant à un parent ou à un ami qui demeure très loin, peut-être aux antipodes — est un fait qui, s’il est réel, manifeste sans doute une loi analo-