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verbes sont-ils, de tous les mots, ceux que nous avons le moins de peine à évoquer ? C’est tout simplement que les verbes expriment des actions, et qu’une action peut être mimée. Le verbe est mimable directement, l’adjectif ne l’est que par l’intermédiaire du verbe qu’il enveloppe, le substantif par le double intermédiaire de l’adjectif qui exprime un de ses attributs et du verbe impliqué dans l’adjectif, le nom propre par le triple intermédiaire du nom commun, de l’adjectif et du verbe encore ; donc, à mesure que nous allons du verbe au nom propre, nous nous éloignons davantage de l’action tout de suite imitable, jouable par le corps ; un artifice de plus en plus compliqué devient nécessaire pour symboliser en mouvement l’idée exprimée par le mot qu’on cherche ; et comme c’est au cerveau qu’incombe la tâche de préparer ces mouvements, comme son fonctionnement est d’autant plus diminué, réduit, simplifié sur ce point que la région intéressée est lésée plus profondément, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une altération ou une destruction des tissus, qui rend impossible l’évocation des noms propres ou des noms communs, laisse subsister celle du verbe. Ici, comme ailleurs, les faits nous invitent à voir dans l’activité cérébrale un extrait mimé de l’activité mentale, et non pas un équivalent de cette activité.

Mais, si le souvenir n’a pas été emmagasiné par le cerveau, où donc se conserve-t-il ? — À vrai dire, je ne suis pas sûr que la question « où » ait encore un sens quand on ne parle plus d’un corps. Des clichés photographiques se conservent dans une boîte, des disques phonographiques dans des casiers ; mais pourquoi des souvenirs, qui ne sont pas des choses visibles et tangibles, auraient-ils besoin