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du corps ; mais pourquoi ? Parce que des vibrations venues de loin ont impressionné l’œil et l’oreille, se sont transmises au cerveau ; là, dans le cerveau, l’excitation est devenue sensation auditive ou visuelle ; la perception est donc intérieure au corps et ne s’élargit pas. Arrivons au temps. Vous prétendez que l’esprit embrasse le passé, tandis que le corps est confiné dans un présent qui recommence sans cesse. Mais nous ne nous rappelons le passé que parce que notre corps en conserve la trace encore présente. Les impressions faites par les objets sur le cerveau y demeurent, comme des images sur une plaque sensibilisée ou des phonogrammes sur des disques phonographiques ; de même que le disque répète la mélodie quand on fait fonctionner l’appareil, ainsi le cerveau ressuscite le souvenir quand l’ébranlement voulu se produit au point où l’impression est déposée. Donc, pas plus dans le temps que dans l’espace, l’ « âme » ne déborde le corps… Mais y a-t-il réellement une âme distincte du corps ? Nous venons de voir que des changements se produisent sans cesse dans le cerveau, ou, pour parler plus précisément, des déplacements et des groupements nouveaux de molécules et d’atomes. Il en est qui se traduisent par ce que nous appelons des sensations, d’autres par des souvenirs ; il en est, sans aucun doute, qui correspondent à tous les faits intellectuels, sensibles et volontaires : la conscience s’y surajoute comme une phosphorescence ; elle est semblable à la trace lumineuse qui suit et dessine le mouvement de l’allumette qu’on frotte, dans l’obscurité, le long d’un mur. Cette phosphorescence, s’éclairant pour ainsi dire elle-même, crée de singulières illusions d’optique intérieure ; c’est ainsi que la conscience s’imagine