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quer sans elle. Mais là se fût arrêtée la matière si elle avait été laissée à elle-même ; et là s’arrêtera aussi, sans doute, le travail de fabrication de nos laboratoires. On imitera certains caractères de la matière vivante ; on ne lui imprimera pas l’élan en vertu duquel elle se reproduit et, au sens transformiste du mot, évolue. Or, cette reproduction et cette évolution sont la vie même. L’une et l’autre manifestent une poussée intérieure, le double besoin de croître en nombre et en richesse par multiplication dans l’espace et par complication dans le temps, enfin les deux instincts qui apparaissent avec la vie et qui seront plus tard les deux grands moteurs de l’activité humaine : l’amour et l’ambition. Visiblement une force travaille devant nous, qui cherche à se libérer de ses entraves et aussi à se dépasser elle-même, à donner d’abord tout ce qu’elle a et ensuite plus qu’elle n’a : comment définir autrement l’esprit ? et par où la force spirituelle, si elle existe, se distinguerait-elle des autres, sinon par la faculté de tirer d’elle-même plus qu’elle ne contient ? Mais il faut tenir compte des obstacles de tout genre que cette force rencontre sur son chemin. L’évolution de la vie, depuis ses origines jusqu’à l’homme, évoque à nos yeux l’image d’un courant de conscience qui s’engagerait dans la matière comme pour s’y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pourtant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaîtrait à la lumière. Cette direction est la ligne d’évolution qui aboutit à l’homme.

Mais pourquoi l’esprit s’est-il lancé dans l’entreprise ?