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L’HOMME

inconscience sont la règle ; la liberté immanente à la force évolutive se manifeste encore, il est vrai, par la création de formes imprévues qui sont de véritables œuvres d’art ; mais ces imprévisibles formes, une fois créées, se répètent machinalement : l’individu ne choisit pas. Sur d’autres lignes, la conscience arrive à se libérer assez pour que l’individu retrouve un certain sentiment, et par conséquent une certaine latitude de choix ; mais les nécessités de l’existence sont là, qui font de la puissance de choisir un simple auxiliaire du besoin de vivre. Ainsi, de bas en haut de l’échelle de la vie, la liberté est rivée à une chaîne qu’elle réussit tout au plus à allonger. Avec l’homme seulement, un saut brusque s’accomplit ; la chaîne se brise. Le cerveau de l’homme a beau ressembler, en effet, à celui de l’animal : il a ceci de particulier qu’il fournit le moyen d’opposer à chaque habitude contractée une autre habitude et à tout automatisme un automatisme antagoniste. La liberté, se ressaisissant tandis que la nécessité est aux prises avec elle-même, ramène alors la matière à l’état d’instrument. C’est comme si elle avait divisé pour régner.

Que l’effort combiné de la physique et de la chimie aboutisse un jour à la fabrication d’une matière qui ressemble à la matière vivante, c’est probable : la vie procède par insinuation, et la force qui entraîna la matière hors du pur mécanisme n’aurait pas eu de prise sur cette matière si elle n’avait d’abord adopté ce mécanisme : telle, l’aiguille de la voie ferrée se colle le long du rail dont elle veut détacher le train. En d’autres termes, la vie s’installa, à ses débuts, dans un certain genre de matière qui commençait ou qui aurait pu commencer à se fabri-