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ché ? pourquoi, — si elle n’est pas entraînée par un élan, à travers des risques de plus en plus forts, vers une efficacité de plus en plus haute ?

Il est difficile de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la vie sans avoir le sentiment que cette poussée intérieure est une réalité. Mais il ne faut pas croire qu’elle ait lancé la matière vivante dans une direction unique, ni que les diverses espèces représentent autant d’étapes le long d’une seule route, ni que le trajet se soit effectué sans encombre. Il est visible que l’effort a rencontré des résistances dans la matière qu’il utilisait ; il a dû se diviser en chemin, partager entre des lignes d’évolution différentes les tendances dont il était gros ; il a dévié, il a rétrogradé ; parfois il s’est arrêté net. Sur deux lignes seulement il a remporté un succès incontestable, succès partiel dans un cas, relativement complet dans l’autre ; je veux parler des arthropodes et des vertébrés. Au bout de la première ligne nous trouvons les instincts de l’insecte ; au bout de la seconde, l’intelligence humaine. Nous sommes donc autorisés à croire que la force qui évolue portait d’abord en elle, mais confondus ou plutôt impliqués l’un dans l’autre, instinct et intelligence.

Bref, les choses se passent comme si un immense courant de conscience, où s’entrepénétraient des virtualités de tout genre, avait traversé la matière pour l’entraîner à l’organisation et pour faire d’elle, quoiqu’elle soit la nécessité même, un instrument de liberté. Mais la conscience a failli être prise au piège. La matière s’enroule autour d’elle, la plie à son propre automatisme, l’endort dans sa propre inconscience. Sur certaines lignes d’évolution, celles du monde végétal en particulier, automatisme et