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de ce genre ne pourrait que, recommencer son passé tel quel, ou en prendre les éléments figés pour les recomposer dans un autre ordre, par un travail de mosaïque. Mais à une intelligence flexible, capable d’utiliser son expérience passée en la recourbant selon les lignes du présent, il faut, à côté de l’image, une représentation d’ordre différent toujours capable de se réaliser en images mais toujours distincte d’elles. Le schéma n’est pas autre chose.

L’existence de ce schéma est donc un fait, et c’est au contraire la réduction de toute représentation à des images solides, calquées sur le modèle des objets extérieurs, qui serait une hypothèse. Ajoutons que nulle part cette hypothèse ne manifeste aussi clairement son insuffisance que dans la question actuelle. Si les images constituent le tout de notre vie mentale, par où l’état de concentration de l’esprit pourra-t-il se différencier de l’état de dispersion intellectuelle ? Il faudra supposer que dans certains cas elles se succèdent sans intention commune, et que dans d’autres cas, par une inexplicable chance, toutes les images simultanées et successives se groupent de manière à donner la solution de plus en plus approchée d’un seul et même problème. Dira-t-on que ce n’est pas une chance, que c’est la ressemblance des images qui fait qu’elles s’appellent les unes les autres, mécaniquement, selon la loi générale d’association ? Mais, dans le cas de l’effort intellectuel, les images qui se succèdent peuvent justement n’avoir aucune similitude extérieure entre elles : leur ressemblance est tout intérieure ; c’est une identité de signification, une égale capacité de résoudre un certain problème vis-à-vis duquel elles occupent des positions analogues ou complémentaires, en dépit de leurs différen-