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dans l’attention, dans la réflexion, dans l’effort intellectuel en général, l’affection éprouvée peut se résoudre en sensations périphériques. Mais il ne suivrait pas de là que le « jeu de représentations » signalé par nous comme caractéristique de l’effort intellectuel ne se fît pas sentir lui-même dans cette affection. Il suffirait d’admettre que le jeu de sensations répond au jeu de représentations et lui fait écho, pour ainsi dire, dans un autre ton. Cela est d’autant plus aisé à comprendre qu’il ne s’agit pas ici, en réalité, d’une représentation, mais d’un mouvement de représentations, d’une lutte ou d’une interférence de représentations entre elles. On conçoit que ces oscillations mentales aient leurs harmoniques sensorielles. On conçoit que cette indécision de l’intelligence se continue en une inquiétude du corps. Les sensations caractéristiques de l’effort intellectuel exprimeraient cette suspension et cette inquiétude mêmes. D’une manière générale, ne pourrait-on pas dire que les sensations périphériques que l’analyse découvre dans une émotion sont toujours plus ou moins symboliques des représentations auxquelles cette émotion se rattache et dont elle dérive ? Nous avons une tendance à jouer extérieurement nos pensées, et la conscience que nous avons de ce jeu s’accomplissant fait retour, par une espèce de ricochet, à la pensée elle-même. De là l’émotion, qui a d’ordinaire pour centre une représentation, mais où sont surtout visibles les sensations en lesquelles cette représentation se prolonge. Sensations et représentation sont d’ailleurs ici en continuité si parfaite qu’on ne saurait dire où l’une finit, où les autres commencent. Et c’est pourquoi la conscience, se plaçant au milieu et faisant une moyenne, érige le sentiment en état