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ce qu’il importe de connaître pour comprendre le présent et anticiper l’avenir. On concevrait même que rien de tout cela ne se manifestât à la conscience, et que la conclusion seule apparût, je veux dire la suggestion précise d’une certaine démarche à faire. C’est ainsi que les choses se passent probablement chez la plupart des animaux. Mais plus la conscience se développe, plus elle éclaire l’opération de la mémoire et plus aussi elle laisse transparaître l’association par ressemblance, qui est le moyen, derrière l’association par contiguïté, qui est le but. Celle-là, une fois installée dans la conscience, permet à une foule de souvenirs de luxe de s’introduire en vertu de quelque ressemblance, même dépourvue d’intérêt actuel : ainsi s’explique que nous puissions rêver un peu en agissant ; mais ce sont les nécessités de l’action qui ont déterminé les lois du rappel ; elles seules détiennent les clefs de la conscience, et les souvenirs de rêve ne s’introduisent qu’en profitant de ce qu’il y a de lâche, de mal défini, dans la relation de ressemblance qui donne l’autorisation d’entrer. Bref, si la totalité de nos souvenirs exerce à tout instant une poussée du fond de l’inconscient, la conscience attentive à la vie ne laisse passer, légalement, que ceux qui peuvent concourir à l’action présente, quoique beaucoup d’autres se faufilent à la faveur de cette condition générale de ressemblance qu’il a bien fallu poser.

Mais quoi de plus inutile à l’action présente que le souvenir du présent ? Tous les autres souvenirs invoqueraient plutôt des droits, car ils apportent au moins avec eux quelque information, fût-elle sans intérêt actuel. Seul, le souvenir du présent n’a rien à nous apprendre,