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Mais, au moment d’attaquer le problème, je n’ose trop compter sur l’appui des systèmes philosophiques. Ce qui est troublant, angoissant, passionnant pour la plupart des hommes n’est pas toujours ce qui tient la première place dans les spéculations des métaphysiciens. D’où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ? Voilà les questions vitales, devant lesquelles nous nous placerions tout de suite si nous philosophions sans passer par les systèmes. Mais, entre ces questions et nous, une philosophie trop systématique interpose d’autres problèmes. « Avant de chercher la solution, dit-elle, ne faut-il pas savoir comment on la cherchera ? Étudiez le mécanisme de votre pensée, discutez votre connaissance et critiquez votre critique : quand vous serez assurés de la valeur de l’instrument, vous verrez à vous en servir. » Hélas ! ce moment ne viendra jamais. Je ne vois qu’un moyen de savoir jusqu’où l’on peut aller : c’est de se mettre en route et de marcher. Si la connaissance que nous cherchons est réellement instructive, si elle doit dilater notre pensée, toute analyse préalable du mécanisme de la pensée ne pourrait que nous montrer l’impossibilité d’aller aussi loin, puisque nous aurions étudié notre pensée avant la dilatation qu’il s’agit d’obtenir d’elle. Une réflexion prématurée de l’esprit sur lui-même le découragera d’avancer, alors qu’en avançant purement et simplement il se fût rapproché du but et se fût aperçu, par surcroît, que les obstacles signalés étaient pour la plupart des effets de mirage. Mais supposons même que le métaphysicien ne lâche pas ainsi la philosophie pour la critique, la fin pour les moyens, la proie pour l’ombre. Trop souvent, quand il arrive devant le problème de l’origine, de la nature et de