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reprises de leur affection au milieu d’un rêve et éprouvent alors du côté de la gorge des picotements désagréables. Simple illusion, se disent-elles au réveil. Hélas ! l’illusion devient bien vite réalité. On cite des maladies et des accidents graves, attaques d’épilepsie, affections cardiaques, etc., qui ont été ainsi prévues, prophétisées en songe. Ne nous étonnons donc pas si des philosophes comme Schopenhauer veulent que le rêve traduise à la conscience des ébranlements venus du système nerveux sympathique, si des psychologues tels que Scherner attribuent à chaque organe la puissance de provoquer des songes spécifiques qui le représenteraient symboliquement, et enfin si des médecins tels qu’Artigues ont écrit des traités sur « la valeur séméiologique » du rêve, sur la manière de le faire servir au diagnostic des maladies. Plus récemment, Tissié a montré comment les troubles de la digestion, de la respiration, de la circulation, se traduisent par des espèces déterminées de rêves.

Résumons ce qui précède. Dans le sommeil naturel, nos sens ne sont nullement fermés aux impressions extérieures. Sans doute ils n’ont plus la même précision ; mais en revanche ils retrouvent beaucoup d’impressions « subjectives » qui passaient inaperçues pendant la veille, quand nous nous mouvions dans un monde extérieur commun à tous les hommes, et qui reparaissent dans le sommeil, parce que nous ne vivons plus alors que pour nous. On ne peut même pas dire que notre perception se rétrécisse quand nous dormons ; elle élargit plutôt, dans certaines directions au moins, son champ d’opération. Il est vrai qu’elle perd en tension ce qu’elle gagne